6 nov. 2011

Lettre du camp de Gurs

Lettre à découvrir sur Arte Histoire, une série d'aquarelles de Julius C. Turner : "Männer im Morgenrot vor dem Stacheldrahtzaun" et de documents commentés.

 « Camp de Gurs, Basses Pyrénées, Ilôt 16, Baraque 6

Vendredi 25 octobre
Mes chers !

Puisque ce jour est férié pour nous aussi, j’en profite pour vous écrire et vous dire qu’après un voyage de trois jours et trois nuits, nous sommes arrivées hier avec beaucoup d’autres personnes. Maman va bien pour l’instant et nous ne désirons qu’une seule chose : venir vous rejoindre. Nous avons rencontré par hasard Rosy Adler. Elle prend grand soin de nous et partage non seulement son pain mais aussi ses sabots avec nous, car nous pouvons à peine marcher avec nos chaussures sur le sol boueux. Il pleut beaucoup et il fait bien froid. Rosy nous a même donné un bout de sa couverture pour que nous nous sentions un peu mieux.
D’ici, je ne peux rien faire concernant notre émigration…
Ce qui compte pour l’instant, c’est que vous vous occupiez de trouver les documents qui prouvent que nous avons une caution et un droit de passage. Dans la précipitation, j’ai juste pris notre numéro de quota. Je n’ai pas encore reçu la valise dans laquelle j’avais mis le minimum vital ainsi que quelques vêtements. J’espère qu’elle n’est pas perdue. Je ne sais pas encore quand je pourrai vous écrire à nouveau. Je dois faire extrêmement attention à mes dépenses pour pouvoir acheter à manger à maman. C’est une chance qu’elle ait encore des somnifères sur elle. Une détenue de notre baraque a reçu aujourd’hui un colis de Suisse avec du chocolat, du lait, des saucisses, etc. Une autre femme de chez nous a reçu quelques dollars des Etats-Unis, par l’intermédiaire de l’agence American Express de Marseille, me semble-t-il, ou d’une autre ville. Si je ne reçois pas notre valise, j’aurai perdu toutes les adresses de nos proches. Peut-être pourriez-vous écrire à ceux qui vivent en Suisse ? C’est déjà le sabbat et maman me dit de vous embrasser de sa part.

Adieu, mes chers !
Else »

Jusqu’au 22 octobre 1940, Else Blach était directrice d’une école maternelle juive à Mannheim. Elle fut déportée à Gurs avec sa mère Johanna, ancienne cantatrice à l’opéra de Mannheim, et écrivit dès son arrivée une lettre à des proches aux Etats-Unis.